Par Lena 14 septembre 2025

L’étude de cohorte : une boussole pour comprendre la santé publique

Les fondements d’une étude de cohorte

Une étude de cohorte, dans son principe, consiste à suivre un groupe de personnes, partageant au départ une caractéristique ou un ensemble de facteurs, sur une période donnée. L’objectif : observer la survenue (ou non) d’un ou plusieurs événements de santé en lien possible avec une ou plusieurs expositions ou facteurs de risque.

  • Cohorte prospective : On suit les individus à partir d’aujourd’hui ou d’un point de départ vers le futur, à la manière d’un “film” qui déroule son histoire. Ex : Suivre 10 000 fumeurs et non-fumeurs pour voir qui développera un cancer du poumon sur 20 ans.
  • Cohorte rétrospective : L’histoire est déjà partiellement écrite : on regarde en arrière avec des données déjà existantes (dossiers médicaux, registres), pour comprendre comment certains expositions passées ont affecté la santé.

Pourquoi “cohorte” ? Le mot vient du latin “cohors”, qui désignait à la fois une troupe militaire et une division administrative ou sociale. En épidémiologie, la cohorte regroupe toutes les personnes réunies par un trait commun initial (naissance la même année, profession, zone géographique, etc.).

Anatomie d’une étude de cohorte – Étapes et architecture

Concevoir et réaliser une étude de cohorte nécessite une organisation rigoureuse. Voici les principales étapes :

  1. Sélection de la population initiale : Déterminer quels individus intégrer, selon des critères précis. Par exemple, tous les salariés d’un certain âge dans une entreprise, toutes les femmes enceintes d’une ville, etc. L’objectif est de commencer avec une population initialement indemne de la maladie étudiée.
  2. Collecte des données d’exposition : Identifier les facteurs à étudier : habitudes de vie, expositions professionnelles, comportements alimentaires, antécédents médicaux, etc.
  3. Suivi dans le temps : Mettre en place un recueil systématique des nouveaux cas de maladie (incidence), de mortalité ou d’autres événements. Ce suivi peut durer de quelques mois à plusieurs décennies selon l’ambition scientifique.
  4. Mise en relation exposition-santé : À la fin du suivi (ou à intervalles réguliers), on compare les taux d’apparition d’un événement chez les exposés et non-exposés.

Un exemple concret : la fameuse étude de cohorte de Framingham, entamée en 1948 aux États-Unis, a suivi pendant des décennies plus de 5 000 habitants d’une ville du Massachusetts pour mieux comprendre les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires (Framingham Heart Study). Cette étude pionnière a notamment permis d’identifier le rôle néfaste du tabac, de l’hypertension artérielle et du cholestérol, ouvrant la voie à d’immenses progrès en prévention.

Quels types de questions peut explorer une cohorte ?

La puissance de l’approche de cohorte réside dans sa grande flexibilité pour aborder des problématiques très variées, telles que :

  • L’effet à long terme d’expositions (tabac, pollution, pesticides, alimentation, rayonnements…)
  • L’étude de maladies rares (en recrutant une très grande cohorte)
  • L’évaluation de la récurrence d’événements (récidive de cancer, rechute dépressive cible, etc.)
  • L’analyse de la survenue de plusieurs maladies ou événements dans une population variée (approche “multi-outcomes”)

Par exemple, la cohorte française “CONSTANCES”, suivie par l’Inserm et la CNAM, inclut plus de 200 000 personnes et vise à étudier les effets d’une multitude de facteurs (environnement, conditions sociales, habitudes de vie) sur la santé, avec des applications de la Covid-19 à l’asthme, en passant par la santé mentale (CONSTANCES).

Comparer avec d’autres approches – Cohorte, cas-témoins, essais cliniques…

Pourquoi choisir une cohorte plutôt qu’une autre méthode ? Petit tableau comparatif des approches majeures en épidémiologie :

Méthode Quand l’utiliser ? Avantages Limites
Cohorte Étudier l’incidence, plusieurs maladies ou expositions ; expositions rares Chronologie claire, estimation du risque relatif, pas limité à une seule maladie Coûteux, longue durée, perte de suivi
Cas-témoins Quand maladie rare Efficace, rapide, économique Biais de mémoire, estimation de l’odds ratio (non du risque absolu)
Essai clinique randomisé Évaluer un traitement/intervention Preuve la plus robuste (randomisation et contrôle) Coûteux, questions éthiques, représentativité

Les études de cohorte sont donc précieuses pour déceler et quantifier des liens de causalité plausibles, tout en restant observationnelles ; elles n’interviennent pas sur les expositions.

Les enjeux méthodologiques et limites des études de cohorte

Réaliser une bonne étude de cohorte nécessite vigilance et anticipation face à certains défis :

  • Biais de sélection : Si la population recrutée ne représente pas le groupe d'intérêt, les résultats ne seront pas généralisables. Par exemple, les cohortes recrutant des volontaires sont souvent marquées par un meilleur état de santé global (effet du “healthy volunteer”).
  • Perte au suivi : Plus l’étude est longue, plus il existe un risque de perdre des participants (déménagement, refus de participer, décès). Cette perte peut biaiser les résultats si elle n’est pas aléatoire.
  • Mesure de l’exposition : Les expositions peuvent évoluer dans le temps ; si on ne les re-mesure pas, leurs effets réels seront mal estimés.
  • Facteurs de confusion : D’autres variables (âge, sexe, statut socio-économique…) peuvent influencer à la fois l’exposition et la maladie, rendant l’interprétation des associations complexe.

Des techniques statistiques avancées (modélisation multivariée, ajustements, analyses de sensibilité) sont nécessaires pour limiter ces biais (Inserm).

L’impact concret des études de cohorte sur la santé publique

Dans l’histoire, de nombreuses avancées en santé publique sont directement issues des études de cohorte. Quelques faits marquants :

  • La compréhension de l’association tabac-cancer du poumon dans les années 1950 repose en grande partie sur l’étude britannique "Doctors' Study" (Doll et Hill, BMJ 1954), qui a suivi plus de 40 000 médecins britanniques sur plusieurs décennies.
  • Elles ont permis de tordre le cou à des idées reçues, comme le lien supposé entre vaccins et autisme, largement infirmé par de grandes cohortes danoises (Andersen et al., NEJM 2002).
  • Les cohortes mères-enfants ont mis en lumière l’effet délétère de l’exposition prénatale à l’alcool ou au tabac sur le développement de l’enfant.

Vers des cohortes du futur : Big data, génomique et sciences participatives

Aujourd’hui, l’ère des données massives et de la santé connectée ouvre de nouveaux horizons :

  • La cohorte “UK Biobank” a recruté près de 500 000 volontaires avec un panel inégalé de données biologiques, génétiques, d’imagerie et de mode de vie (UK Biobank).
  • De nouveaux outils permettent un suivi en temps réel via applications mobiles, objets connectés ou questionnaires en ligne : la cohorte “NutriNet-Santé” en France recueille via Internet données alimentaires et de santé de plus de 175 000 personnes (NutriNet-Santé).
  • La participation citoyenne se développe, avec des cohortes auto-alimentées par des “patients-experts”.

Réflexion ouverte : quels nouveaux défis et perspectives ?

L’étude de cohorte ne cesse de se réinventer. À l’heure de la transition épidémiologique, des bouleversements environnementaux ou de la médecine personnalisée, elle devient un outil collectif de nos sociétés pour anticiper, comprendre et mieux réagir. L’enjeu est de garantir l’inclusivité, la rigueur éthique, le respect du consentement, et une analyse critique des données.

Ces études sont bien plus qu’un outil scientifique : elles sont collectivement le miroir de notre rapport à la santé, invitant chacun – chercheur, médecin, citoyen – à s’emparer de la fabrique des connaissances. L’avenir pourrait être marqué par de grandes études de cohorte “hybrides”, mêlant intelligence artificielle, analyses pluridisciplinaires et implication citoyenne. Quelles réponses seront alors apportées à nos questions les plus pressantes sur la santé ? La discussion reste ouverte, et passionnante.

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